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Exemple d'écriture "à la place de"

Submitted by Hélène Robert on Sun, 11/02/2025 - 00:01

J'interviewe l'actrice Ariane Ascaride et je traduis son style d'élocution sans écrire avec oralité. Un exercice d'équilibriste. 

" À vos yeux, à quoi tient la beauté de Montpellier ?

Vous me posez une colle, parce que je connais très mal cette ville. Je ne m’y promène pas beaucoup. Or, sans une démarche touristique, je dirais qu’il n’y a pas d’imprégnation de la ville, donc de sa beauté. Je viens ici pour assister au festival Cinemed ou en tant que comédienne. Mon rapport à Montpellier a donc toujours été professionnel.

Faites-vous attention aux accents que vous entendez dans un film ?

J’aime entendre les accents, car ils disent beaucoup des personnages. Parlant italien, j’ai reconnu hier l’accent sicilien du film en compétition Gioia Mia (de Margherita Spampinato). Mais lorsque la langue parlée m’est étrangère, la question ne se pose pas, puisque je ne sais pas si les personnages parlent avec un accent. Et je reste d’autant plus extérieure à la singularité du phrasé que je lis les sous-titres. En vérité, je regrette d’entendre si peu d’accents dans les films français. Il faut toujours avoir ce bon accent de la ville de Tours, défini comme le véritable accent français. Et si accent il y a, il sert généralement de caution pour refléter une réalité sociale. Avec le cinéaste Robert Guédiguian, je joue à loisir avec mon accent marseillais. Et je remarque que l’accent bouscule la syntaxe. Le fait de travailler avec l’accent du sud change souvent les mots de place dans la même phrase. En chahutant un peu les mots, on va dire exactement la même chose, mais avec une sincérité plus grande encore dans les sentiments exprimés.

Que vous évoque le cinéma méditerranéen ?

Il est le cinéma de nos origines, de nos racines. Je dis toujours que le bassin méditerranéen est le berceau de la culture européenne. Que nous en ayons conscience ou non, nous transportons en nous une culture antique. Pourtant, le cinéma méditerranéen reste un grand oublié. Il gagne en visibilité grâce au circuit des festivals, mais il peine à trouver des distributeurs et à s’exporter dans les salles de cinéma traditionnelles. Ce matin, j’ai par exemple eu la chance de découvrir un film du Turkestan. Je ne suis pas certaine que je pourrais le revoir dans des salles françaises. Parfois, heureusement, la présence d’un film méditerranéen en festival propulse une carrière. Ce fut le cas avec le premier film de Robert Guédiguian (Dernier Été, 1981, coréalisé avec Frank Le Wita), présenté notamment à CINEMED. Les spectateurs ont découvert une réalité sociale qui n’était à l’époque pas tellement mise en avant.

Avez-vous une préférence pour une cinématographie méditerranéenne ?

Le cinéma italien m’est cher. Je suis attachée à l’histoire du cinéma italien et à ses classiques (Fellini, Rossellini, etc.). Elle façonne par ailleurs ma collaboration avec Robert Guédiguian. Robert est un héritier du néoréalisme italien. Ettore Scola lui a dit qu’il était le dernier réalisateur italien. Nanni Moretti suit son travail et nous suivons le sien.

Quel plan d’un film méditerranéen vous accompagne au quotidien ?

Je pense tout de suite au plan final avec Anna Magnani dans Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini, 1976). Mamma Roma vient de perdre son fils et crie à sa fenêtre. Elle nous regarde avec une telle intensité que je ne peux m’empêcher d’en faire alors une icône à part entière. À mes yeux, elle est presque l’égale de La Joconde peinte par Léonard de Vinci.

Où vous installez-vous dans la salle de cinéma ? Vous tenez-vous droite pendant la séance ?

Je me mets au milieu de la salle, au cinquième rang. J’aime beaucoup être parfaitement face à l’écran. J’aime bien aussi qu’il n’y ait personne à côté de moi. Lorsque je cherche à me concentrer devant ce qui m’est montré, je me tiens droite sur mon siège. Mais mon corps s’enfonce dans le siège lorsque je suis submergée d’émotions. Je le laisse faire. Je ne lutte pas.

Vous arrive-t-il de faire des associations d’idées pendant un film, de rêvasser ?

Je suis dérangée quand une référence me vient et que je fais un parallèle entre ce que je vois et ce que j’ai déjà vu ailleurs. Je sors du film et je trouve cela regrettable. Mais pour être honnête, il m’arrive de m’endormir dans la salle, et là, je ne culpabilise pas. C’est un temps suspendu en dehors de la réalité.

Voir un film lorsqu’on sait qu’on va en parler ensuite en groupe (dans le cadre d’un jury), modifie-t-il la façon de le regarder ?

J’appréhende le rôle de jurée avec un grand sens des responsabilités. De quel droit puis-je juger la qualité d’un film ? C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je fais rarement partie d’un jury. Donc, quand j’accepte cette tâche, je m’efforce d’être la plus attentive possible à l’écriture cinématographique. Mais mon sens de l’analyse s’effondre lorsque je suis happée par l’histoire et par son ambiance, quand je suis submergée par l’émotion. Je vois ce basculement d’un bon œil, car il est le propre d’une œuvre artistique (cinéma, peinture, musique) : il s’est passé quelque chose qui restera en moi des années plus tard.

Vous projetez-vous parfois dans certains rôles que vous découvrez en tant que spectatrice ?

Je me projette énormément et c’est même presque un défaut ! Mon regard perd en spontanéité. Je me demande ce qu’il s’est passé dans la tête de l’interprète au moment où il a tourné cette séquence. Ce qui m’importe est de savoir s’il fait preuve de virtuosité ou s’il puise en lui quelque chose de vrai. Pour un acteur, ce qui est compliqué est de se servir de sa virtuosité pour devenir véritablement authentique. Rares sont ceux qui y parviennent. Or, j’admire les acteurs qui deviennent leur personnage. C’est ce que je scrute en tant que spectatrice-actrice. Il faut qu’il nous fasse oublier, le temps d’une scène, toute sa technicité pour être dans la situation. En ce sens, le film de Joachim TrierValeur Sentimentale, est remarquable. Il fait appel à des acteurs prodigieux, qui nous montrent comment jouer le fait d’être un acteur.

Vous arrive-t-il d’entrer en empathie avec des acteurs à l’écran au regard de ce qu’ils doivent jouer ?

Si je ressens à l’écran la difficulté de la scène tournée, bien sûr qu’il m’arrive d’entrer en empathie avec son interprète. Mais ma connaissance des tournages me donne une plus grande hauteur de vue. Je me garde de supposer que l’interprète a souffert particulièrement, car je n’étais pas présente.

Vous aimez beaucoup lire. En regardant l’adaptation filmique d’un livre que vous aviez lu, avez-vous déjà eu le sentiment de voir votre imaginaire de lectrice retranscrit à l’écran ? 

Non, jamais, hélas ! Je dirais même qu’il ne faut pas adapter de chefs-d’œuvre littéraires sur grand écran sous peine d’être déçu. Le cinéma fait rentrer une histoire dans un temps et dans un espace précis. Or, la lecture d’un livre fait fi de ces contraintes. Et puis, plus l’écriture de l’auteur est incroyable et développée, plus elle fait fonctionner notre imaginaire. L’histoire qu’on se crée dans notre tête devient immense. De sorte qu’aucune adaptation cinématographique de mon livre de chevet Madame Bovary écrit par Gustave Flaubert n’a trouvé grâce à mes yeux. De même, l’adaptation récente d’Honoré de BalzacIllusions perdues (Xavier Giannoli, 2021), m’a profondément déplu. En vérité, je ne me serais jamais figuré une histoire écrite par Balzac transposable en film. Cela étant dit, j’ai déjà ressenti l’essence d’un personnage de livre dans son incarnation au cinéma. Je retiens par exemple la performance extraordinaire d’Harry Baur dans Les Misérables (Raymond Bernard, 1934). C’est la seule fois où j’ai eu le sentiment de retrouver Jean Valjean tel que le décrivait Victor Hugo. Ou celle de Raimu sous les traits du Colonel Chabert dans le film éponyme réalisé par René Le Hénaff (1943). Ce sont des acteurs si immenses, dotés d’une telle amplitude de jeu, qu’ils parviennent à donner vie à ces personnages fictionnels hors norme. En somme, je conseillerais à un cinéaste qui veut adapter un livre d’en choisir un qui est moyen sur le plan littéraire. Il s’émanciperait ainsi plus facilement de l’histoire initiale, ce qui l’aiderait à créer un univers à part entière.

Après avoir vu un film, qu’aimez-vous faire pour régénérer votre regard ?

En premier lieu, je me tiens à distance des autres. J’ai horreur qu’on me parle tout de suite du film, j’ai besoin d’un sas de décompression. Il m’est même arrivé de me disputer après le visionnage d’une œuvre (L’Homme de marbre d’Andrzej Wajda, 1977), car la personne à mes côtés me ramenait à des trivialités en me parlant du métro à prendre pour rentrer chez soi.

Puis, je vais me balader. Parfois, je ne vois plus rien de ce qui m’entoure, tant le film m’a chamboulée, mais je continue de marcher. Parfois, j’observe le monde autour de moi. Qu’importe, je n’apprécie pas ce moment du retour au réel. Quand je sors de scène en tant que comédienne ou quand je quitte la salle de cinéma, je suis encore imprégnée d’un autre monde, je suis même sans défense. Je ne sais pas retrouver mon identité quotidienne en un claquement de doigts.

Quel film méditerranéen recommandez-vous de voir ?

Il faut absolument voir le film italien La ciociara réalisé par Vittorio De Sica (1960). En jouant Cesira, Sophia Loren, alors à l’apogée d’une carrière devenue américaine, nous propose un autre registre de personnage, qui plus est dans un film de guerre. Elle interprète le rôle d’une femme plus âgée qu’elle, un rôle extraordinaire pour une actrice, qui lui a valu un Oscar. On n’est pas obligé d’être cinéphile pour apprécier La ciociara. C’est un film populaire qui touche tous les cœurs.

 

Propos recueillis par Hélène Robert "

https://www.bande-a-part.fr/cinema/entretiens/magazine-de-cinema-entretien-cinema-ariane-ascaride/

interview ariane ascaride