Skip to main content

CRITIQUE DU FILM « THE END OF SUFFERING (A PROPOSAL) » : MARS, LE NOUVEL ELDORADO ?

Submitted by Hélène Robert on Sun, 10/18/2020 - 17:28

Le 26 septembre 2020, j’ai été membre du jury du 26è festival international du court-métrage de Drama, en Grèce. A cause de la crise sanitaire actuelle, celui-ci a eu lieu en ligne. Mais la démarche est restée intéressante car les films présentés étaient à la fois de nationalités variées et au contenu éclectique. Parmi les six films représentant la Grèce, The end of suffering (a proposal) a été le vainqueur.

Bande-annonce ici.

Le court-métrage met en scène une jeune femme en détresse psychologique. Elle se sent incomprise et malheureuse. Elle pleure beaucoup. Partout : chez elle, dehors, dans le métro. Son mal-être s’inscrit dans ce sous-terrain. Elle pleure alors que le soleil de la vitre l’éblouit. La lumière est là mais elle ne la ressent pas. Ce début annonce le propos du court-métrage : lâcher-prise face au malheur de ses problèmes comme devant la joie de rayons sur la peau. Alors seulement, une autre réalité est possible. Lorsqu’on n’attend plus rien. Un autre type de bonheur. Plus stable ? Plus durable ? C’est ce que la caméra cherche à découvrir quand la jeune femme arrive sur Mars, deux scènes après. Un bruit de fond constant et un ciel noir nous informent que nous avons quitté la Terre. On ne voit plus l’héroïne sous sa forme physique. On perçoit seulement sa voix. Elle questionne : «où suis-je ? qui êtes-vous?». D’autres voix lui répondent : «on entend tes supplications, on va te montrer une autre réalité». Cette réalité est poreuse, de cette terre blanche et rouge de Mars. Nous voilà dans une ambiance de film de fiction low fi. Un rêve éveillé. Il y a des Marsiens mais on les croirait Terriens. Ils nous ressemblent physiquement mais ils ne souffrent pas. Pourquoi ? Ici, “people live without the thought of the absolute and irreversible end” (les gens vivent sans la pensée de la fin absolue et irréversible). Evidente référence à l’instant présent et au sentiment d’éternité recherchés dans diverses pratiques spirituelles et méditatives, le film surprend par le virage qu’il opère alors. Ce n’est pas une histoire de fin du monde ni d’aliens. The end of suffering (a proposal) est une réflexion philosophique et poétique sur des concepts de non-dualité. Dans ce monde où la souffrance n’existe pas, “there is no ideal, it’s just different” (il n’y a pas d’idéal, c’est simplement différent). On ne peut plus comparer le bien du mal ou la joie de la tristesse.

Mais tout de même... Comment cette femme au javelot est-elle arrivée ici ? On la croirait sortie d’un reportage sur les Jeux Olympiques. Par désespoir ? A l’image de l’héroïne, lui a-t-on offert le cadeau de la sérénité avec ce pied à terre ? L’héroïne reviendra-t-elle un jour dans le métro, à la fin du récit ? En vérité, s’est-elle suicidée ? Ou Mars ne serait-il pas finalement le paradis, « la vie après la mort », sa dernière maison ? Nous n’en saurons jamais rien. Ce mystère est merveilleux ; il donne au film toute sa force de proposition. La réalisatrice Jacqueline Lentzou illustre ce que les voix répondent à l’âme de l’héroïne : il faut arrêter de penser et de donner du sens aux événements de la vie. Il n’y a que des états d’être, donc des images, des gestes, comme ceux montrés à l’écran.

Ce dialogue intérieur dans le cosmos n’est pas sans rappeler le film de Franck Capra, « La vie est belle » (1946), dans lequel Dieu et un ange s’amusent à parler du cas d’un Terrien à sauver, George Bailey. La veine comique côtoie le dramatique de la situation. Les genres s’emmêlent et c’est tant mieux puisque Mars est un No Man’s Land. Le film pourrait durer plus longtemps. Il pourrait être plus court. Il s’arrête comme il a commencé, sans crier gare. Au lieu de conclure avec une fin explicative, la réalisatrice nous emmène encore vers un ailleurs. Vers l’indéfinissable d’une chanson dont on ne saisit pas toutes les paroles. Simplement une mélodie et un texte tristes et joyeux. Une chanson qui parle de nous comme si nous étions des fleurs tombées. N’est-ce pas ce qu’il faut retenir de cette oeuvre, la promesse d’un jardin d’Eden ?

 Plus d'informations sur le festival ici

Plus d'informations sur le prix remis sur le site FIPRESCI ici.

 

Présentation du jury Hélène Robert en grec